Obstacles à l'internationalisation des parts de marché dans le domaine des marchés publics et de la gestion déléguée des services publics dans l'Europe des Douze - Bilan et perspectives

UNIVERSITE PARIS - DAUPHINE
Deuxième colloque international des services publics
21 octobre 1992

La gestion des services publics locaux dans l'Europe de demain, Editions LITEC, 1994

Sommaire :
Introduction
I - Obstacles d'ordre structurel
1.1. Obstacles dus aux différences institutionnelles de la gestion des services
1.2. Obstacles liés aux différences des régimes juridiques des Etats membres

II - Obstacles dus au non-respect des règles communautaires de passation des marchés
2.1. La publicité - l'absence de publication des avis d'appel d'offres
2.2.Le fractionnement d'un contrat en plusieurs marchés pour échapper au seuil d'application des directives
2.3. Les spécifications techniques
2.4. Recours abusifs aux procédures de passation exceptionnelles
2.5. Critères et conditions concernant l'aptitude des candidats
2.6. Les traitements de faveur en fonction de certains candidats

Conclusion
Bibliographie - Arrêts de la Cour européenne - Summary

Introduction
II m'incombe de présenter les obstacles à l'internationalisation des marchés, tant souhaitée par les institutions communautaires, c'est-à-dire les moyens utilisés par chaque État membre pour écarter les candidats étrangers de ses marchés nationaux.

La tâche est difficile car il n'existe pas, à ma connaissance, un recensement systématique des différents moyens utilisés par les pouvoirs adjudicateurs des États membres ; seule la jurisprudence de la Cour européenne, saisie à la suite de recours, principalement en manquement, est de nature à nous renseigner sur la nature et l'importance de ces « moyens ».

Ne faisant pas partie de la Commission ou d'une autre institution communautaire, je n'ai pas accès aux procédures en cours, engagées à la suite de plaintes ou de recours ; je limiterai donc ma présentation aux obstacles que nous révèlent les décisions déjà rendues par la Cour.

Connaître les moyens utilisés par les autorités de chaque État pour faire obstacle à la pénétration du marché par des candidats étrangers présente un grand intérêt tant pour les pouvoirs adjudicateurs que pour les entreprises.

En ce qui concerne les premiers, il faut en effet rappeler que la Commission a choisi à juste titre de frapper toute violation des règles communautaires par les pouvoirs adjudicateurs dans le domaine financier ; ainsi, il est prévu que le non-respect par un État membre des règles communautaires quant aux passations des marchés sera sanctionné par le refus de versement des fonds structurels. L'importance de ce risque est énorme pour les pays méditerranéens qui bénéficient largement de ces fonds structurels pour leurs travaux d'infrastructure.

II est certain, par ailleurs, que les entreprises, souvent victimes de comportements directement ou indirectement discriminatoires de la part des pouvoirs adjudicateurs d'autres États membres, ont tout intérêt à connaître leurs droits ainsi que les moyens qu'elles ont à leur disposition pour faire sanctionner ces droits par les juridictions nationales ou les juridictions communautaires.

La jurisprudence de la Cour européenne et l'observation de divers systèmes juridiques des États membres (faute d'harmonisation juridique) font ressortir deux types d'obstacles à l'internationalisation des marchés

1) les infractions elles-mêmes, constituées par tout non-respect des règles communautaires quant aux procédures de passation des marchés.

2) les obstacles inhérents aux régimes juridiques ou à l'organisation institutionnelle des différents pays, que nous pourrions qualifier d'obstacles d'ordre structurel, puisqu'ils ne constituent pas en eux-mêmes des violations des règles communautaires mais empêchent, néanmoins. de façon indirecte, la pénétration des marchés locaux par des entrepreneurs ou des fournisseurs étrangers.

Avant d'énumérer les divers types de violations que nous rencontrons dans la jurisprudence de la Cour, il convient de se pencher sur ces obstacles d'ordre structurel, dépourvus d'une intention de favoritisme de la pan de l'autorité considérée, mais assurant, néanmoins, l'impénétrabilité des marchés nationaux.

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I. - OBSTACLES D'ORDRE STRUCTUREL

Nous rencontrons l'exemple le plus frappant d'un tel type d'obstacle dans le domaine des concessions de services publics.
Plusieurs pays, tels que l'Allemagne, l'Angleterre, le Danemark ou l'Italie, privilégient des modalités institutionnelles de gestion de leurs services publics locaux et excluent, ainsi, indirectement par ce choix et ce type de gestion institutionnelle, la mise en concurrence.

1.1. Obstacles dus aux différences institutionnelles de la gestion des services
Ainsi, il est certain qu'il sera difficile pour une entreprise française ou grecque de soumissionner dans un pays comme l'Allemagne ou l'Angleterre (malgré les modifications récentes dans ce domaine en ce qui concerne les collectivités locales anglaises), alors que ces mêmes entreprises seront concurrencées en France ou en Grèce, pays où le système de la gestion déléguée est assez largement répandu, par les entreprises de tous les autres États membres.

Le type d'obstacle précité est propre aux concessions de services publics et ne concerne pas les travaux publics, domaine dans lequel nous ne rencontrons pas de différences significatives d'un État à l'autre quant aux modes de réalisation des travaux ; en effet, dans le paysage communautaire, les travaux publics sont le plus souvent confiés à des entreprises privées à la suite d'appels d'offres, étant donné que très peu de travaux sont réalisés par les collectivités locales en régie ou par des entreprises publiques rattachées à celles-ci.

Néanmoins, si l'on peut constater une certaine homogénéité quant aux modes de passation des marchés publics, des différences de taille persistent dans ce domaine d'un pays à l'autre sur le plan strictement juridique.

1.2. Obstacles liés aux différences des régimes juridiques des États membres
Nous en arrivons ainsi à un autre obstacle « d'ordre structurel » ; il ne s'agit plus de différences dans les modes de gestion, mais de différences des régimes juridiques des États membres, les uns prévoyant l'incorpora tion des règles communautaires par des textes législatifs, les autres par des textes beaucoup moins contraignants, tels que des textes réglementaires ou administratifs et assurant, par voie de conséquence, beaucoup moins la protection des droits des soumissionnaires victimes de comportements « favoricstes ».

Ainsi, si dans le domaine des marchés publics, les États membres ouvrent leurs marchés aux entreprises privées et à la libre concurrence, ils présentent, en revanche, une grande disparité quant aux moyens offerts aux candidats victimes d'une discrimination par les divers régimes juridiques nationaux.

La disparité juridique la plus frappante en la matière est celle des normes de transposition des règles communautaires dans chaque droit national.

En effet, les directives elles-mêmes donnent le droit aux États membres de transposer les règles communautaires dans leur droit national par des textes législatifs, réglementaires, ou même administratifs. Or, le respect du droit communautaire à l'intérieur de chaque État dépend de la norme de transposition qui a été choisie. Une règle communautaire traduite en droit national par une loi donne une possibilité de recours que ne donne pas une circulaire, texte d'une faible valeur contraignante et qui, par ailleurs, ne fait pas l'objet d'une publicité adéquate.

Des pays comme la France, l'Italie ou la Grèce incorporent toutes les règles communautaires dans leur système juridique interne par des textes législatifs alors que des pays comme l'Angleterre ou l'Irlande, pays où la circulaire et l'instruction interne sont l'instrument juridique le plus souvent utilisé, adoptent pour l'incorporation du droit communautaire ce type de textes réglementaires ou même administratifs.

Il faut y voir une spécificité très particulière et déterminante pour l'ouverture des marchés ; ainsi un entrepreneur qui aura soumissionné en Angleterre, mais qui aura été écarté en tant que non-inscrit sur une liste de présélection, n'aura aucun recours dans ce pays car les circulaires ne mettent pas en place de voies de recours.

Ce sont, sans doute, ces différences dans les normes de transposition des textes communautaires qui expliquent la " tranquillité " de certains États membres ayant un droit moins formaliste. Leur droit national étant aussi réglé par des circulaires, ils auront toujours la possibilité de transposer le droit communautaire par le même type de norme, ce qui rend indirectement beaucoup plus difficile la mise en concurrence dans leur territoire.

En revanche, l'on remarque une réticence considérable de certains pays ayant des droits plus formalistes. Leur droit national étant réglé par des textes législatifs, ils ont une certaine hésitation à incorporer les directives communautaires dans leur droit national et à se soumettre, de la sorte, à des textes aussi contraignants que des textes législatifs.

La Grèce a fait l'objet d'un recours en manquement en 1989 car sa loi sur les travaux publics n'avait pas incorporé les directives communautaires.

Le cas de l'Italie est encore plus frappant. Ce pays a été condamné une première fois en 1976; puis un nouveau contentieux a abouti à une constatation de manquement résultant du fait que huit dispositions du droit italien sur les marchés publics n'étaient pas conformes aux directives de la Commission, dispositions qui figuraient dans un texte prétendument voté pour transposer ces directives en droit interne italien.

La France est plutôt un cas à part puisque, tout en ayant un régime juridique fondé sur des textes législatifs, elle a incorporé les directives communautaires dans le domaine qui nous préoccupe, parfois même avant le délai imposé.

Pour revenir à la disparité précitée dans les normes de transposition, il est à rappeler que la Cour européenne a précisé, à juste titre, que " de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l'administration, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable des obligations du Traité ", condamnant ainsi l'incorporation par le canal de textes réglementaires ou administratifs.

11 n'en demeure pas moins que les directives elles-mêmes prévoient cette possibilité, qui constitue une source permanente d'inégalité de traitement et qui crée indirectement un obstacle à l'internationalisation des marchés.

Nous avons vu brièvement les obstacles à l'internationalisation dérivant de la disparité des institutions ou des structures juridiques des différents États membres ; voyons maintenant les moyens qui sont utilisés délibérément par les pouvoirs adjudicateurs afin d'écarter du marché les fournisseurs ou les entrepreneurs étrangers.

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II. - OBSTACLES DUS AU NON-RESPECT DES RÈGLES COMMUNAUTAIRES DE PASSATION DES MARCHES

2.1. La publicité - l'absence de publication des avis d'appels d'offres
11 s'agit d'une violation rencontrée très souvent durant les premières années. Les pouvoirs adjudicataires des États membres ont souvent sousestimé délibérément le montant des marchés afin de ne pas atteindre le seuil communautaire rendant la publication obligatoire.

L'obligation de post-information imposée par la directive « travaux » 89/ 440 est de nature à réduire ce type de violation des règles communautaires, puisque le pouvoir adjudicateur doit adresser à l'Office des publications officielles des Communautés, dans les 48 jours après l'adjudication, un avis communiquant notamment le prix convenu.

Il est à noter que bien avant la sortie de cette directive, et ce dès 1986, l'on a pu constater un accroissement considérable du nombre d'avis publiés au Journal officiel des Communautés, à un taux annuel de croissance de 22,3 % (Il 677 avis publiés en 1987 contre 9 500 en 1986).

Une variante de ce type de violation est constituée en ce domaine par l'invocation, souvent injustifiée de la part des pouvoirs adjudicateurs, de l'urgence afin de réduire les délais de publication ou d'écarter délibérément les formalités de publicité. Bien entendu, la preuve de l'urgence en la matière incombe à celui qui l'invoque. Ainsi, lorsque l'Italie, à la suite des événements de Seveso, a essayé de se soustraire à cette obligation de publication, arguant de la nécessité d'installations de recyclage des déchets dans un cas et de la construction de fours d'incinération d'ordures réclamée pour l'hygiène publique dans l'autre, elle n'a pas été suivie par le juge communautaire qui a constaté qu'il n'y avait pas une réelle urgence permettant la mise à l'écart des formalités de publicité, compte tenu, surtout, des lenteurs des procédures administratives italiennes.

11 faut constater que les délais entre la publication de l'avis ou de l'invitation à soumissionner et la soumission des offres ont été prolongés par la directive 89/440 « afin d'améliorer l'accès à la participation d'un plus grand nombre d'entrepreneurs et de leur permettre la remise d'offres clans des délais raisrourables ». II est, en effet, incontestable que des délais trop courts ne peuvent profiter qu'aux entrepreneurs locaux étant « au parfum » sur les marchés envisagés depuis quelques mois : bien entendu tant le prolongement des délais que l'obligation de préinformation prévus par la dernière directive « travaux » contribuent à écarter ce moyen de favoritisme indirect.

Enfin, la Commission a instauré depuis 1986 un service de surveillance qui examine à l'aide d'un système informatisé les avis d'appels d'offres dont la publication est obligatoire ainsi que les projets financés par des fonds communautaires. Ce système a permis la détection d'un nombre non négligeable d'infractions telles que le non-respect des délais édictés par les directives et a contribué à la diminution de ce type d'infractions.

2.2. Le fractionnement d'un contrat en plusieurs marchés pour échapper au seuil d'application des directives
II s'agit d'un des obstacles principaux et les plus utilisés.

La notion d'« ensemble fonctionnel » a été retenue par les textes communautaires comme critère permettant de constater le caractère artificiel ou non du fractionnement.

Ainsi, la Commission considère que les règles communautaires sont respectées lorsque le montant des travaux a été calculé en prenant en considération tous les travaux nécessaires pour que l'ouvrage envisagé soit fonctionnel. c'est-à-dire achevé dans toutes ses finitions et prêt à l'utilisation prévue par les pouvoirs adjudicateurs. Dès lors donc que le résultat du marché considéré ne sera fonctionnel qu'une fois, d'autres marchés auront été exécutés, c'est le montant cumulé de tous ces marchés qui détermine l'obligation de publier chacun d'entre eux.

Par ailleurs, le montant des marchés est calculé en fonction tant de la valeur des marchés de travaux que de celle des fournitures nécessaires à l'exécution de l'ouvrage, même lorsque ces fournitures sont mises à la disposition de l'entrepreneur par les pouvoirs adjudicateurs.

II en est de même si les travaux sont réalisés par lots, dès lors que mention en est faite dans l'avis des marchés.

Les règles en question sont applicables tant en matière de travaux qu'en matière de fournitures.

Le fractionnement artificiel des marchés constitue un cas de fraude grave.

L'obligation de post-information prévue par les directives communautaires (envoi après l'adjudication d'un avis communiquant le prix convenu) semble être le meilleur instrument pour combattre ce type de fraude, à condition d'élargir le champ d'application de cette obligation. En effet, dans l'état actuel des textes, la post-information ne concerne que les marchés dont les pouvoirs adjudicateurs avaient initialement estimé le montant supérieur au seuil communautaire ; ainsi les marchés frauduleusement soustraits à toute publicité, grâce à une sous-estimation volontaire, échappent à toute vérification ultérieure. Or, il faudrait imposer la postinformation pour tout marché dont le prix final a atteint le seuil communautaire quelle qu'air pu être l'estimation initiale.

2.3. Les spécifications techniques
Il s'agit de l'ensemble des prescriptions (nécessairement techniques) figurant dans les documents de l'appel d'offres et dans les documents contractuels et énonçant les caractéristiques requises d'un produit pour qu'il réponde à l'usage auquel le destine le pouvoir adjudicateur.

Afin que l'accès aux marchés soit facilité pour les candidats nationaux, les pouvoirs adjudicateurs stipulent souvent dans l'avis d'appel d'offres des clauses impliquant l'obligation d'utiliser des normes nationales alors que des normes européennes existent.

Ainsi, l'édiction des normes techniques a servi souvent d'instrument à une politique protectionniste d'apparence « scientifique ».

Un contrôle juridictionnel est cependant possible, ce qui est prouvé par un arrêt de la Cour de Justice rendu en 1988 à la suite d'une plainte contre l'Irlande. La Cour a constaté le manquement de l'Irlande aux obligations découlant de l'article 30 du Traité de Rome qui interdit la limitation à l'importation. En effet, la Cour a considéré que le fait d'avoir inscrit dans un dossier d'appel d'offres concernant l'extension d'un réseau de distribution d'eau une clause selon laquelle les conduits en amiante-ciment pour les canalisations devaient être certifiés conformes à telle norme irlandaise, constituait un comportement discriminatoire. Le pouvoir adjudicateur avait refusé d'examiner l'offre la plus basse d'un entrepreneur irlandais ayant proposé l'utilisation de conduits en amiante-ciment fabriqués en Espagne conformément à une autre norme donnant des garanties équivalentes.

2.4. Recours abusifs aux procédures de passation exceptionnelles
Nous savons que les directives prévoient la possibilité de recours à la procédure négociée dans les cas de :

- travaux réalisés uniquement à des fins de recherche ;
- travaux ne pouvant être confiés qu'à un entrepreneur déterminé ;
- travaux supplémentaires ne figurant pas au premier contrat, mais devenus nécessaires ;
- appel d'offres n'ayant abouti à aucune soumission ou à aucune Soumission appropriée ;
- appel d'offres ayant donné lieu à des offres irrégulières et inacceptables ;
- urgence impérieuse résultant d'événements imprévisibles.

Les arrêts de la Cour de Justice confirment qu'à plusieurs reprises les pouvoirs adjudicateurs des États membres ont recouru de façon abusive aux procédures négociées, arguant du concours d'une des circonstances précitées. La doctrine s'accorde pour considérer que les cas précités, bien que limitatifs, sont tellement larges que les recours à la procédure négociée risquent d'être pour beaucoup moins exceptionnels que les considérants des directives le laissent entendre.

2.5. Critères et conditions concernant l'aptitude des candidats
L'article 20 de la directive « travaux » prévoit que la vérification de l'aptitude des entrepreneurs est effectuée par les pouvoirs adjudicateurs conformément aux critères de capacité économique, financière et technique visés aux articles 25 à 28.

Tant l'arrêt « Transporoute » (CJCE, 10 février 1982) que l'arrêt « Beentjes » (CJCE, 20 septembre 1988) apportent la preuve que les États membres exigent parfois des conditions et des références autres que celles expressément énoncées par les articles précités.

Les arrêts en question apportent, par ailleurs, une contribution importante à l'interprétation des articles 25 à 28 de la directive « travaux » concernant l'évaluation de la capacité économique, financière et technique des entrepreneurs.

Dans l'affaire Beentjes, l'État néerlandais avait écarté la Société Beentjes considérant qu'elle avait une expérience spécifique insuffisante des travaux analogues et avait précisé que « seuls entreront en ligne de compte les .soumissionnaires dont la capacité d'exécuter le travail ne fait de t'avis du maître de l'ouvrage aucun doute tant aux niveaux technique, écartanuque et, financier qu'an niveau de l'organisation ».

La Cour a considéré que les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent effectuer la vérification de l'aptitude des entrepreneurs que sur la base exclusive des critères de capacité économique, financière et technique et que les moyens de preuve ou les références probantes pour les capacités précitées sont déterminés par les articles 25 à 28 de la directive « travaux », ce qui signifie implicitement que les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent pas en exiger d'autres.

Dans l'affaire « Transporoute », la Cour a considéré que la justification des capacités techniques peut, conformément à l'article 26, être fournie par diverses références (travaux récemment exécutés, titres d'étude de l'entrepreneur et de son personnel d'encadrement, importance du matériel et du personnel, etc.) dont la liste est exhaustive. En l'espèce, un pouvoir adjudicateur luxembourgeois avait exigé des soumissionnaires, outre leur inscription au registre professionnel de leur pays d'établissement, de produire une autorisation d'établissement gouvernementale émanant des autorités luxembourgeoises.

La Cour a considéré que les États membres ne peuvent demander des références autres que celles expressément énoncées dans les articles précités et que l'autorisation d'établissement en question ne visait pas à établir la capacité financière et économique des entreprises, mais la qualification professionnelle et l'honorabilité de leurs dirigeants et qu'elle constituait, par conséquent, un critère étranger é ceux limitativement énumérés par la directive.

11 est à noter, néanmoins, que la Cour fait une distinction nette entre les critères et les conditions ; elle interdit tout critère d'aptitude ou d'attribution autre que les critères énumérés par les directives alors que sont autorisées a priori les conditions supplémentaires non discriminatoires et publiées dans l'avis de marché.

Certes, il est souvent difficile, dans la pratique, de faire la distinction entre un critère et une condition. « Un critère (par exemple l'expérience spécifique de travaux analogues à l'ouvrage envisagé) n'est qu'un mayen, un repère, un guide de juger, d'apprécier des qualités... une condition est au contraire l'imposition par le pouvoir adjudicateur de certaines exigences (techniques, administratives, juridiques, économiques ou financières) » (« Enfin, l'Europe des marchés publics » par p. et M.-A FLAMME, L'Actualité Juridique, 20 novembre 1989).

La directive 71/305 prévoit elle-même certaines conditions objectives telles que le respect des conditions d'emploi, la déclaration par le soumissionnaire de son intention de sous-traiter une part du marché, etc. Ainsi, le fait pour les pouvoirs adjudicateurs d'avoir exigé le respect de telles normes, la souscription d'assurances, le versement de Bid Bonds ou de Performance Bonds, l'emploi de main-d'œuvre locale ou de chômeurs n'est pas considéré comme un critère - prohibé - mais comme une condition tout à fait licite. Force est néanmoins de constater que l'exigence de certaines conditions (par exemple l'emploi de main-d'oeuvre locale) peut parfaitement favoriser une politique protectionniste et des inégalités de traitement tant par rapport aux soumissionnaires étrangers que par rapport aux travailleurs des autres États membres.

2.6. Les traitements de faveur en fonction de certains candidats
A plusieurs reprises, les pouvoirs adjudicateurs n'ont pas hésité à mettre leurs larges pouvoirs discrétionnaires au service d'un soumissionnaire déterminé, contrairement aux règles de la transparence et de la mise en concurrence.

Dans le domaine des marchés publics et des concessions de services publics, le favoritisme a pris différentes formes telles que :

- contacts préalables à toute consultation officielle, noués entre le pouvoir adjudicateur et une entreprise déterminée qui bénéficie ainsi, d'informations privilégiées par rapport à ses concurrents et dispose de délais supérieurs afin d'élaborer son offre ;
- élaboration du cahier des charges ou des autres documents de l'appel d'offres à l'insu des concurrents par les entreprises consultées ;
- promesse de la part du pouvoir adjudicateur à l'égard d'une entreprise déterminée d'apporter, en cours d'exécution, aux travaux uniquement les modifications du projet initial souhaitées par elle ;
- exigence de conditions pouvant être remplies par certains candidats seulement, ce qui permet d'aboutir ainsi aux appels d'offres dits « photographiques ».

La déclaration du Conseil et de la Commission, jointe à la directive 89/44() « interdit dans les procédures ouvertes ou restreintes toutes négociations avec les candidat.% ou les soumissionnaires parant sur des éléments fondamentaux des marchés dont la variation est susceptible de fausser le jeu de la concurrence et, notamment, sur le prix; cependant, il peut v avoir des discussions avec les candidats ou les soumissionnaires seulement pour faire préciser ou compléter la teneur de leurs offres, ainsi que les exigences des pouvoirs adjudicateurs, d'autant que cela n'a pas un effet discriminatoire ».

II n'en demeure pas moins que les infractions de ce type (difficiles, au demeurant, à détecter et à établir) sont le plus souvent commises avant le lancement de l'appel d'offres. Par ailleurs, même pendant la durée de l'appel d'offres, il est facile de masquer un traitement de faveur à l'égard d'un candidat en présentant les négociations prohibées comme nécessaires pour faire préciser ou compléter par les candidats la teneur de leurs offres.

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Conclusion
Le nombre très faible des arrêts rendus par la Cour dans le domaine qui nous préoccupe (moins d'une vingtaine d'arrêts pour plus de vingt-cinq ans de réglementation) est significatif quant à l'insuffisance du contrôle juridictionnel de la réglementation communautaire.

Force est de constater en la matière la quasi-inexistence de requêtes préjudicielles introduites par les juges nationaux ainsi que celle de recours des soumissionnaires, victimes des traitements discriminatoires.

Le contentieux que nous avons examiné a été alimenté principalement par des recours en manquement introduits par la Commission sur la base de l'article 169 du Traité.

Néanmoins, malgré leur rareté, les arrêts rendus dans ce domaine constituent une jurisprudence constructive qui a permis la transposition systématique des dispositions des directives, l'application du droit originaire aux matières couvertes partiellement par les directives, la possibilité d'invocabilité des directives par des particuliers et l'interprétation authentique des dispositions matérielles de la réglementation.

Par ailleurs, après l'échec des premières directives, le nouveau dispositif introduit par les directives 89/440 et 89/655 est destiné à garantir le libre accès à la concurrence et à renforcer l'efficacité des procédures de recours en cas de traitement discriminatoire.

La tendance actuelle est au renforcement de l'obligation qu'ont les autorités publiques de motiver leur comportement dans le cadre des procédures de passation et sur le plan du contrôle, au renforcement des contrôles administratifs communautaires et à la réorganisation des procédures nationales de contrôle.

11 reste toutefois qu'il est difficile pour la Commission d'essayer de détecter, à partir de Bruxelles, toutes les infractions commises par les pouvoirs adjudicateurs et qu'il appartient aux entreprises de se pourvoir devant les juridictions nationales ou communautaires afin de se défendre contre les inégalités de traitement dont elles ont fait l'objet et de faire sanctionner leurs droits.

Un tel comportement suppose incontestablement une meilleure information des entreprises quant aux droits qui leur sont donnés par les textes communautaires (et par la jurisprudence de la Cour) ainsi qu'aux moyens dont elles disposent pour faire sanctionner ce droit.

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BIBLIOGRAPHIE
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LABAYLE H. (1989), « Le contrôle de la réglementation communautaire en matière de marchés publics », Revue du Marché commun, n° 332, décembre 1989, pp. 625-636.

LLORENs F. (1989), «La réglementation Communautaire des marchés publics et le droit de concessions », Revue du Marché commun, n" 332, décembre 1989, pp. 603-624.

RICATTE J. (1991), « Quelques inégalités entre les législations nationales transposant les directives CEE », Gazette du Palais, 6 avril 1991, pp. 132134.

SuR M.T. (1990), « L'ouverture européenne », L'Actualité Juridique, Droit Administratif, 20 novembre 1990, pp. 779-786.

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Centre d'Étude et de Recherche sur les Collectivités Locales (1992), « Les Services Publics Locaux en Europe, mars 1992 ».

Revue française de droit administratif, Dossiers et documents (1989), « Les marchés publics européens (droit communautaire, droit comparé) », Paris, Sirey, 1989.

Vade mecum sur les marchés publics dans la Communauté : JO CE, 31 décembre 1987.

Arrêts de la Cour européenne
AFF. 31/87, Beentjes/ Pays-Bas
AFF. 103/88, Société Fratelli Costanzol Commune de Milan AFF. 76/81, Transporoute/ Luxembourg
AFF. 194/88, Commission/ République italienne AFF. 286/88, Falciola Angelo/ Commune di Pavia AFF. 168/85, Commission/ Italie
AFF. 95/81, Commission/ Pays-Bas
AFF. 45/87, Commission/ République d'Irlande AFF. 27 à 29/88, CEI/ Bellini
AFF. 199/85, Commission/ Italie AFF. 274/83, Commission/ Italie AFF. 197/84, Steinhauser/ Ville de Biarritz

Summary
The obstacles to the internationalisation of the market in the area of public works fall into two groups : those which are intentional and those which are not :

1 - obstacles which are inherent to the system and legal structures of the various countries which although not constituting actual violations of Community orles, indirectly nevertheless prevent the interpenetration of local markets ; these include in particular obstacles arising out of the différent methods of management of public services on one hand, and the variety of legel means of transposing Community law oles into national law on the other hand.
2 - obstacles flowing from the means deliberatly used by the relevant Authorities to prevent free access to competitors, among which the mort frequent are
- failure to publish the offer to bid
- dividing one contract into several différent commets to escape the application of the Community directives which contain a threshold
- the affect of requiring national technical specifications
- the excessive use of exceptional procedures to place commets with national undertakings.
- the fact of requiring criteria and conditions in addition to those normally required concerning the capacity of the candidate
- favourable treatment accorded to certain candidates.

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